15 juin 2008

Quelque chose en lui de Raymond Carver

A voir en écoutant : Duke Ellington and John Coltrane - In A Sentimental Mood


Cher lecteur,

et si nous nous intéressions aux petites gens ? Ma proposition te surprend? Et pourtant, cela nous ferait du bien. Je suis lassé, fatigué, épuisé, à défaut d'être irrité par ce qui préoccupe nos éditorialistes. Moi qui préfère la sécurité d'un livret A à un all in sur l'action Total, je suis prêt à parier avec toi que, si la situation persiste, nous entendrons prochainement une cohorte de journalistes qualifier de Vatican II l'éviction du présentateur moumouté de la messe du Vingt Heures ! Bien entendu, ou plutôt pas entendu du tout, le moindre mot sur l'arrêt du "Bateau-Livre" ; évidemment, Frédéric Ferney, dans son émission, donnait à lire, réfléchir et s'évader autrement que par le biais des Ch'tis : trop dangereux pour notre démocratie, cette tentative, aujourd'hui tuée, de cultiver notre esprit.

Irrité donc, je trouve refuge dans la galerie Kamchatka pour son exposition "Attentes" d'Adrien Lécuru. Déjà, le mot "Attentes" commence à faire son effet. Ma respiration, malmenée par le blablatage ambiant, retrouve son rythme apaisé. Je découvre ensuite avec bonheur la série présentée par un artiste qui canalise mon regard sur l'homme. Loin, très loin de l'homme-people et de l'homme-qui-se-lève-tôt. Ici, il s'agit de l'homme-humain, espèce que l'on pourrait croire en voie de disparition et qu'Adrien Lécuru nous permet de redécouvrir. Les petites gens justement, au sens noble évidemment, ceux de Raymond Carver, hommes et femmes ordinaires inscrits dans un univers intérieur.

A l'instar de l'écrivain au top 5 de mes auteurs favoris (mais tu t'en fiches), Adrien Lécuru se distingue par l'économie de ses oeuvres qui les rendrait presque surréalistes. Le piège du cliché (notamment dans les toiles présentant un clochard -"NationMan"- ou un petit garçon -"Boy"-) se trouve totalement déjoué par la sobriété. Alors que je pense d'abord regarder des portraits "objectifs" de femmes ("Marguerita" et "Jeanne") ou de fou ("BièreMan") dans des environnements épurés (un banc ou une chaise, une station de RER ou un parc), je découvre en m'approchant que ces réalités sont proposées dans toute leur sensibilité. Pas mièvre mais subtile, cette sensibilité. Les regards des personnages sont vagues ; la position de leurs corps semble être imposée par leur esprit en vagabondage : la résignation du condamné enfoncé dans sa chaise dans "Guantanaberg", la léthargie de l'ivrogne dans "NationMan", la rêverie d'une "Jeanne" alanguie, à moins que ce ne soit de l'abattement ?

Et c'est justement ce qui me plaît dans la série présentée par Adrien Lécuru ; chacun peut se raconter son histoire. Bien sûr, le titre de l'exposition révèle que le dénominateur commun est l'attente. Bien sûr, tous les personnages apparaissent isolés, dans un mystérieux repli. Mais là où je vois un fou ("BièreMan") peut-être verras-tu un homme simplement esseulé.

En opposition à ces anonymes, accrochés au-dessus d'eux, je découvre des portraits d'hommes publics (la médiatisation élèverait-elle ?). Contrairement à "ceux d'en-bas" dont le corps nous est livré entier, Xavier Bertrand ou Jules-Edouard Moustique apparaissent dans "Tryptique bleu" en hommes-troncs sur fond bleu télégénique. Et pourtant, eux aussi sont seuls.

Adrien Lécuru part de photographies découvertes dans la presse, de personnes de son entourage ou prises à leur insu dans la rue mais il n'impose aucune version. Finalement, je quitte l'exposition un peu plus libre...

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Attentes - Adrien Lécuru"
Du 07/06/08 au 10/07/08
Galerie Kamchatka
23 rue Charles V
75004 Paris





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