26 octobre 2008

Une chaise pour deux

A voir en écoutant : TV On The Radio - Love Dog




Cher lecteur,


la question à deux millions (de yen, parce qu'il grimpe) : quel est l'homme qui a fondé un groupe hip hop-rock, qui produit la quasi-totalité des teens' artistes, qui s'acoquine avec l'élitiste Louis Vuitton pour créer bijoux et lunettes et qui détient deux lignes de vêtements fabriquées au Japon (encore lui) en série très limitée parce que la pénurie crée la demande ? Non, ce n'est pas Shiva ayant reconverti ses quatre bras dans l'entertainment, ni Superman ayant recyclé ses super-pouvoirs pour détenir le monopole de la Hype. Ladies & Gentlemen, let me introduce you to... Pharrell Williams !!

Si je te parle aujourd'hui de ce trentenaire, ce n'est pourtant pas pour les raisons évoquées plus haut mais parce que Mr Williams présente ses nouvelles créations design à la galerie Emmanuel Perrotin : des chaises, aux couleurs vives, aux surfaces brillantes et douces, à l'assise peau ou cuir, avec quatre vrais pieds et jambes, tantôt masculins, tantôt féminins. Morphodesign, quand tu reviens... Car il est faible de dire que les créations de Mr Williams ne révolutionneront ni l'art ni le design.

D'abord, la forme. Charles et Ray Eames avaient déjà conçu en 1948 une chaise à coque moulée. Ensuite, l'intégration de membres humains dans le mobilier. Souvenons-nous de la chaise "L'homme" de Ruth Franken datant de 1971. Mais après tout, me rétorqueras-tu, l'appréciation d'une oeuvre ne s'établit pas à l'aune de son originalité par rapport aux créations qui l'ont précédée. Peut-être pour saisir des subtilités qui m'auraient échappé, je décide d'interroger Pharrell présent en duplex lors du vernissage.
Quant au propos de ses oeuvres, l'artiste, qui ne mentionnera jamais l'érotisme suggéré, m'explique son intention de concevoir un mobilier dans lequel le corps humain se glisserait comme dans un vêtement. La forme invite ainsi au confort du corps, le siège anthropomorphe renvoyant à la position de l'homme assis.

Art ou design ? Peu importe pour Pharrell ; celui qui regarde l'oeuvre n'aura qu'à choisir. Alors que Pharrell intègre ses chaises à un processus de création globale, au même titre que sa production musicale ou ses réalisations vestimentaires, tous participant à son accomplissement artistique, je choisis d'y voir l'oeuvre, gangrenée par la facilité, d'un américain décomplexé surfant sur la vague d'un revival pop-art avec, il faut le reconnaître, un savoureux mélange composé d'une pincée d'avant-gardisme et d'un soupçon d'opportunisme joyeux.
Et pourtant, la galerie Emmanuel Perrotin réserve d'autres surprises.
La suite au prochain épisode...

A toi de voir...
Merci à Domeau et Pérès.

Pharrell Williams
"Perspective"
du 21/10/08 au 10/01/09
Galerie Emmanuel Perrotin
10 impasse Saint-Claude
75003 Paris
www.galerieperrotin.com/

19 octobre 2008

Provocation ?

A voir en écoutant : Miilkbone - Keep It Real


Cher lecteur,


les parisiens et les parisiennes s'entassent dans un espace de 39.000 m2 pour l'inauguration du 104, événement que chacun avait pris soin de noter dans son iPhone et autre Blackberry. Tous observent, avec une perplexité qu'ils tentent de dissimuler, certaines oeuvres dont la vocation dernière est d'être intelligibles.

Dans un souci d'originalité (snobisme ?), je délaisse le 104 rue d'Aubervilliers pour le 78 rue Amelot où la galerie Magda Danysz invite au vernissage d'Obey et de D-Face. Je suis bientôt rejoint par une curieuse foule identifiable à une affiche roulée, tantôt tenue sous le bras, tantôt dépassant du sac. J'apprends rapidement qu'il s'agit de l'affiche offerte par le 104 à ses visiteurs pour célébrer la consécration du temple auto-proclamé de l'art contemporain. Je m'interroge :
1. me trompe-je tant quant à ma prétendue originalité?
2. mais que fait le public du 104 à la galerie Magda Danysz ?

Concernant ma première interrogation, je t'éviterai les méandres de mon introspection (comme a dû dire un jour Woody Allen : "j'ai un psy").
Pour la deuxième, j'ai rapidement compris que face aux inintelligibles oeuvres du 104, les très compréhensibles travaux d'Obey et D-Face avaient pour mérite de rassurer les parisiens et les parisiennes.

Les deux artistes sont symptomatiques de la nouvelle génération de street-artistes vénérés par les galeristes. Exposés ici en parallèle, ils ont pour point commun d'inviter notre regard au-delà de l'image. L'un détourne les affiches de propagande russe tandis que l'autre a recours à l'imagerie publicitaire américaine des 50's. Tous deux visent à encourager le spectateur à reconsidérer les stéréotypes de la société de consommation (encore elle, toujours elle).

Portés par cette intention, Obey et D-Face transmettent des messages à la force de leur graphisme. Il peut s'agir d'injonction à la paix (un avion militaire détourné en signe Peace & Love ou un soldat dont la mitraillette est décorée du même symbole) ou d'invitation à l'égalité (le portrait de l'icône Angela Davis avec... le symbole Peace & Love). Parfois, ils s'en prennent à l'attraction suscitée par le dieu Argent. D-Face propose ainsi un billet d'un dollar (l'oeuvre en vaut 25.000, le dollar se réévaluerait-il ?) offrant une tête de mort ornée de deux ailes déplumées. Certains y voient de la "désobéissance visuelle" et parlent du comble de la provocation. Certes, le message est limpide - peut-être un peu trop - mais en matière de provocation, Mafalda faisait mieux et avec humour, en prime.
Pour ma part, les deux artistes n'atteignent pas totalement leur but de m'inviter à porter un autre regard sur mon environnement. La faute à la facilité. Néanmoins, je suis sensible à l'esthétique proposée. Obey est à compter parmi ceux qui ont contribué à l'évolution du Street-Art, le faisant passer de l'obligatoire simplisme originel (dans la rue, fallait faire vite) à l'actuelle complexité des oeuvres. En témoignent le méticuleux assemblage de pièces de journaux, l'utilisation sophistiquée du pochoir conjointement au rouleau et la bichromie.

Pari à moitié tenu donc pour Obey et D-Face. Mon conseil du jour : dans la famille Street-Art, je t'invite à (re)découvrir Banksy, son humour et la finesse de ses provocations.

A toi de voir...
Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.



Exposition Obey + D-Face
Du 11/10/08 au 25/10/08
Galerie Magda Danysz
78 rue Amelot
75011 Paris
www.magda-gallery.com

12 octobre 2008

Des photos et des Hommes

A voir en écoutant : Nujabes - The Final View


Une Folie, donc. Une splendide Folie du XVIIIe siècle dans le XXe arrondissement (ben oui, je parle de la Folie au sens architectural, pas de celle qui domine les marchés financiers actuellement). Fière, droite, blanche, armée de quatre colonnes et cependant sobre. Je suis immédiatement charmé par le lieu.
Au Pavillon Carré de Baudouin donc, se tient ce jour-là le vernissage de l'exposition consacrée à Denis Darzacq. Forcément, j'imagine déjà une foule parisianiste hypeuse plutôt pressée pour cause de fashion week. Forcément puisque Mr Darzacq a reçu le 1er Prix Stories du World Press Photo 2007 (ça l'fait !), puisqu'il a été photo-journaliste pour Libération (ça l'fait ?) et puisqu'il a arpenté professionnellement quelques fameux plateaux de cinéma (Rivette, Satyajit Ray et Chantal Ackerman, ça l'fait !) et de clips video (Rita Mitsouko et Etienne Daho, ça l'fait !).

Totale erreur. La foule est multiple et authentique. Depuis les danseurs présents sur les photographies de Denis Darzacq qui prennent le temps de m'expliquer les méthodes de travail adoptées en passant par l'étudiante des Beaux-Arts jusqu'au père qui transmet à son jeune fils les plaisirs de la découverte artistique. Bref, des êtres humains.
Et ce sont d'autres hommes qui m'apparraîssent exposés sur les murs du Pavillon Carré de Baudouin. Casqués, flottant ou chutant, les hommes de Denis Darzacq sont d'abord des individus. Certes, la renommée du photographe s'est amplifiée lorsque ses oeuvres ont été mises en corrélation avec les "émeutes" de 2005 survenues dans les banlieues. Il est vrai également que les terrains de travail de Denis Darzacq se nomment Nanterre, Bobigny ou XIXe arrondissement. Pourtant, au-delà des cités et des entrées d'immeuble, je vois l'humain. Pas l'humain globalisé des gens du marketing, pas l'humain stéréotypé des lignes éditoriales, encore moins celui stigmatisé par les gens de la politique. Effectivement, face à moi, chaque regard, posture ou mouvement me renvoie l'image d'une individualité. Impossible de généraliser le regard que les modèles m'adressent, impossible de définir un état d'esprit commun, impossible de trouver un sentiment partagé par tous. Ils sont accablés ou décidés, fougueux ou sereins, fiers-à-bras ou usés.

L'homme de la rue.
La série "Ensembles" (1997-2000) propose un point de vue en hauteur. En l'absence de tout indicateur de lieu, les personnes photographiées organisent seules l'image. Elles se promènent bras enlacés, s'arrêtent pour échanger, se dirigent affairées ou abattues vers quelque autre lieu. Et toujours, leurs ombres les accompagnent. Jamais totalement seules, jamais totalement ensemble. En regardant ces photographies, je me fais voyeur de ces solitudes et me surprend à constater la mienne dans la galerie pourtant bondée.


Le visage de l'homme.
Dans "Bobigny Centre Ville" (2004-2005), Denis Darzacq fait le portrait individuel de résidents (tenus à résidence ?) de la cité, photographiés devant leur immeuble. Je n'y vois nul banlieusard, nul lascard ni autre 3e génération. Je rencontre Mame Sow, Djibril Koita ou Hamza Achik.

L'homme nu.
Ils sont tous nus mais sans le moindre soupçon d'érotisme. Laissant derrière eux leur standardisé pavillon, ils avancent décidés dans la série "Nu" (2003), aucune hésitation ni contrainte ne semble les atteindre. Quel est ce lieu vers lequel ils se dirigent ? Est-ce seulement un lieu ?

L'homme suspendu.
Que ce soit dans la série "La chute" (2006) ou dans la série "Hyper" (2007), l'homme de Denis Darzacq lévite et offre une image inattendue. Les danseurs sont capturés par l'oeil du photographe à l'instant précis où ils s'affranchissent des contraintes de l'apesanteur et de la pesanteur. La performance des modèles est évidente dans les figures aériennes qu'ils accomplissent. Néanmoins, aussi importante est la liberté que l'individu prend à l'égard du monde normalisé qui l'entoure, de l'urbanisation de la cité à l'hideuse esthétique des hypermarchés.


L'homme masqué.
Pour mon oeil, la série "Casques" (2007) est la moins évidente. Les casques apparaissent tels des masques portés par chaque personnage. Celui-ci, bien que dissimulé derrière son armure faciale laisse deviner sa personnalité au travers du choix des motifs de son casque. Pourtant, je préfère Denis Darzacq lorsqu'il photographie l'homme sans artifice.

A toi de voir...
Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.




Le Pavillon Carré de Baudouin expose Denis Darzacq
du 03/10/2008 au 22/11/2008
119, 121 rue de Ménilmontant
75020 Paris