5 juillet 2008

Inventaire à la Prévert

A voir en écoutant : Dntel - These Days (People Press Play remix)


Cher lecteur,


le top départ est donné. Nous entendrons désormais la sempiternelle litanie de Bison Futé et le continuel refrain de nos hommes-troncs du Vingt Heures évoquant les juilletistes et aoûtiens déplacements. Il est une communauté qui a effrontément décidé de ne pas choisir son camp : elle sera autant intégrée à ceux-de-juillet que mêlée à ceux-d'-août. Je parle évidemment des bienheureux galeristes. Ainsi, profitant de cette trêve mais ne doutant pas que ta curiosité sache résister à l'outrageant appel à la torpeur des plages de Mandelieu-la-Napoule ou de Banyuls-sur-Mer, je prendrai le temps de te faire partager mes échanges avec un artiste dont les oeuvres m'ont interpellé.

Dans l'attente de cette rencontre, je choisis, pour clore la première saison de mon oeil naïf au pays tantôt enthousiasmant, tantôt décevant, voire franchement agaçant des galeries, l'exposition "Featuring" proposée par la Galerie Chez Valentin. Pourquoi ce choix ? Parce que des équerres, un alphabet, un tract surréaliste, des stores vénitiens, une initiale. Parce qu'un bronze, des couvertures de revues, un croquis. Parce que Max Ernst, Matthew Brannon, Man Ray, Ryan Gander, Francis Picabia. Bref, pour l'inventaire à la Prévert qui m'est donné à découvrir. La galerie a d'ailleurs l'heureuse idée de n'adresser aucun dossier de presse, enjoignant ainsi le visiteur à prendre sa propre mesure de la résonance entre dadaïstes artistes du XXe siècle et jeunes artistes du débutant XXIe.

En franchissant le seuil de la galerie, je suis accueilli par la plaisante équipe du lieu - il faut le souligner - mais également par l'"Alphabet pour Adulte" de Man Ray (1890-1976). Bien que l'oeuvre soit largement postérieure au mouvement, la plongée dans l'univers Dada et son esprit d'enfance peut commencer ; je profite alors de la délicieuse mise en bouche qui m'est offerte avant les plaisirs des congés payés rehaussés des saveurs des 35 heures. N'en déplaise aux fâcheux grincheux, je flâne, je musarde, pire, je commets l'outrage de glander dans une totale improductivité pour laisser mon esprit vagabonder au fil des 36 lithographies. En apparence enfantins, les traits de Man Ray sont ici efficaces et subtils. Le plaisir est d'abord visuel : le mot "Doigt" est illustré dans les deux sens, le mot "Yeux" figure sur un visage à la place du nez. La dérision, quant à elle, se cache dans le mot "Avoir" où une main en agrippe une autre détenant avidement une perle.

Plus tard, c'est l'esthétique graphique de Matthew Brannon (né en 1971) qui me séduit ; sa série de machines à écrire dissimule derrière une rigoureuse cohérence la potentialité d'un dysfonctionnement. La géométrie des machines et la typographie 70's laissent ensuite place à l'émotion : des tasses de café sont déplacées au fil des pièces, une main-squelette apparait, des ratures font une intrusion dans des textes qui, dans leur contenu, suggèrent l'émergence d'une crise.

J'appréhende ensuite une nouvelle expérience émotionnelle au travers des toiles de Francis Picabia (1879-1953). Dans "Nu assis", la nature se fait mer mousseuse et sable irréellement lisse ; la femme au premier plan s'inscrit dans une perspective perturbée. Au-delà des couleurs datées, la scène renvoit à une sérénité instable.

Un autre dérangement est présent dans l'"Homonculus" de Mathieu Mercier. L'homme qui m'est présenté dispose de membres disproportionnés. Alors que ses mains, sa bouche et ses oreilles relèvent du gigantisme, son torse et ses bras sont frêles, voire fragiles. En m'approchant, je constate l'absurdité : finalement, dans ces rapports d'échelles, les parties du corps puissantes, au prime abord, dans leur démesure, se révèlent dans tout leur encombrement inutile.

Ainsi, d'une photographie de Denise Collomb (1902-2004) à la douceur comique, aux équerres de Matthew Smith (né en 1976) formant un "salut" ironique, mon oeil naïf passe du jeu, au graphisme, du graphisme à l'émotion et de l'émotion à la déconstruction. Dans sa déambulation d'une époque répondant à l'autre, il préfère peut-être le jeu des "Anciens".

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Featuring"
Galerie Chez Valentin
du 09/07/08 au 25/07/08
9 rue Saint Gilles
75003 Paris
www.galeriechezvalentin.com