30 juin 2008

Liberté alternative

A voir en écoutant : Le Tigre - Deceptacon (DFA Remix)


Cher lecteur,

que faire de sa liberté ?
Cela aurait pu être un sujet du Bac Philo cuvée 2008, c'est en fait la question qui me taraude alors que je me dirige vers la galerie la B.A.N.K. pour assister au vernissage de l'exposition "FORW>RD 2". La galerie située au 42 rue Volta et Redux, revue "alternative" de création (as-tu remarqué qu'il est désormais inconvenant de ne pas être alternatif ? force est de constater qu'il devient difficile de comprendre de quel mainstream ces alternatives visent à se distinguer tant elles deviennent elles-mêmes une institution), la galerie et la revue, donc, s'associent pour la 2e édition de FORW>RD et réunissent une vingtaine d'artistes français travaillant dans les domaines du graphisme, de l'illustration et des arts plastiques. Habitués à répondre à des commandes, que proposent ces graphistes et autres illustrateurs lorsqu'ils recouvrent toute liberté à l'égard des diktats du marketing et des tendances ? La question est posée.

Décidé à y répondre, j'éprouve d'abord la plus grande difficulté à pénétrer dans les lieux dont l'entrée est entravée par une foule qui préfère manifestement regarder l'exposition de l'extérieur (une manière "alternative" de découvrir les oeuvres ?), verre à la main et dress code portant fièrement le drapeau de la hype. Mieux que deux heures en compagnie de Sarah Lerfel ou Anna Wintour, je découvre en quelques minutes d'observation les trendy tendances : sac doré Chanel porté sur ravissante robe bleu électrique, mise en valeur par escarpins compensés vert bouteille permettant de gagner un bon mètre de hauteur et soulignés d'un vernis rouge passion, côté fille, stricte obligation de porter baskets blanches et denim japonais assorti d'un T-shirt sérigraphié-édition-limitée, côté garçon.

Je parviens finalement à entrer dans la galerie où nous sommes encore quelques-uns à préférer regarder les oeuvres à l'intérieur. L'impression première est celle d'un grand éclectisme inscrit dans de graphiques univers. Par la suite, plusieurs questions m'assaillent.

Hommages ou écrasantes références ?
La question reste ouverte à la vue de la conserve de Stéphane Kiehl. J'apprécie le graphisme de sa représentation d'une ville façon pixel-art où des éléments médiévaux côtoient une architecture moderne et dans laquelle une place réduite est accordée à la nature floutée par un écran de fumée bleue. Pourtant, je reste dubitatif devant sa boîte de conserve noire épinglée de médailles. Certes, je constate la recherche relative au support - quatre feuilles cousues entre elles donnant l'impression d'une maroquinerie - mais je ne peux m'empêcher de penser à la trop fameuse conserve de soupe Campbell d'Andy.

Concernant les oeuvres noir et blanc de Delarocca, le graphisme fait encore mouche dans le travelling opéré sur le portrait d'une jeune femme, travelling s'achevant sur un nez étrangement disproportionné. J'aime ici la dérision de Delarocca mais reste frappé par sa composition d'inspiration lichtensteinienne.


Provocation ou puéril discours ?
Dans "Vengeance", les animaux traitent les hommes comme des animaux. Ils les chassent, les mangent, les transbahutent ou les peignent. L'artiste est-il végétarien ? membre de l'ALF (Animal Liberation Front) ? ou rallié à la cause BBienne ? Une chose est sûre, son oeuvre pourrait illustrer la couverture de "La maltraitance animale expliquée à ma fille".

Guillaume Abdi, quant à lui, présente deux skates formant la Croix et saignant à l'emplacement des trous destinés aux trucks. Même la couronne d'épines n'a pas été omise. Faisant face, le prie-dieu est recouvert d'un tissu maculé de logos de marques de skateboards. Le skate, contre-culture et religion de nos enfants, donc. Je suis partagé ; l'oeuvre est frappante mais à choisir, je préfère la provocation d'un Maurizio Cattelan.

Ainsi, le talent graphique des artistes ne fait pas doute. En revanche, alors qu'ils sont ici dégagés des obligations de la commande répondant à des impératifs marketing, ces artistes restent sous influence des codes et de l'omniprésence du message, même simpliste.

Pourtant, un univers singulier parvient à émerger. Nawel peint des femmes à la peau d'un saisissant blanc laiteux contrastant avec les tissus, rendus ici à toute leur matérialité.

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "FORW>RD 2"
Du 26/06/08 au 26/07/08
La B.A.N.K.
42 rue Volta
75003 Paris
www.bankgalerie.com

22 juin 2008

La cinquième dimension

A voir en écoutant : Lykke Li - Dance Dance Dance


Cher lecteur,

comme prévu contractuellement, l'été a commencé le 21 juin. Comme prévu par le Jack Lang way of culture, la fausse note a envahi, sans complexe, le moindre morceau de macadam. Comme prévu par l'observation des astres, l'équipe de France a désormais tout loisir d'occuper ses journées à découvrir les charmes de la Suisse et ses soirées à regarder d'excellents matchs de football. Néanmoins, des indices m'invitent à penser que, malgré cette apparente normalité, nous avons franchi les portes de la quatrième dimension : un homme, pas très blanc, avec un prénom pas très catholique, en course vers la Maison Blanche, l'album de Carla B. S. classé Disque Inter et Jean-Claude Van Damme qui devient acteur dramatique...

Allant jusqu'à me faire violence pour accepter l'idée d'un ex-Premier Ministre déclamant des vers sur scène, je m'acclimate peu à peu à cette quatrième dimension lorsque je traverse le porche menant à la galerie e.l Bannwarth. Là, stupéfait, je fais la découverte qu'une cinquième dimension existe, celle proposée par Julien Tran Dinh dans l'exposition "Merveilleux".

Des femmes à tête de rhinocéros ("I See Pool"), des hommes à tête de cerf ("Oh My God !") ou encore des arbres à tête de mort ("Beasty Messenger and the Beauty") habitent un univers apocalypto-onirique.
La tension réside dans la confrontation entre le graphisme épuré des décors et les éléments qui viennent le perturber. Alors que les bâtiments et les paysages sont inscrits dans une géométrie ordonnée et lisse, des nuages de fumée, des rochers volants et un sol craquelant dérèglent cette apparente harmonie.

Dans ces lieux, surgissent des personnages surréalistes, comme sortis d'un rêve. L'homme-cerf marche sur l'eau, l'homme-loup exécute une figure avec son vélo tandis qu'un arbre à tête de mort lance un rayon-laser rose. Ici, fiction et fantastique se mêlent.
Je rentre dans les toiles de Julien Tran Dinh comme dans un conte de fées contemporain et recherche les indices d'une histoire qui m'est racontée. J'y suis bousculé entre burlesque des scènes, esthétique empruntée à la bande-dessinée et tension latente. Je m'interroge sur l'événement qui a pu mener à cette absurde apocalypse.

Une identique loufoquerie marque les dessins réalisés au stylo bille où des hypeuses posent en compagnie de leur ami gorille tout droit sorti d'un jeu-video (série "My Best Friend"). Un peu comme si Karl Lagerfeld posait en gilet de sécurité...

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Julien Tran Dinh - Merveilleux"
Du 20/06/08 au 18/07/08
Galerie e.l. Bannwarth
68 rue Julien Lacroix
75020 Paris
www.galeriebannwarth.com

15 juin 2008

Quelque chose en lui de Raymond Carver

A voir en écoutant : Duke Ellington and John Coltrane - In A Sentimental Mood


Cher lecteur,

et si nous nous intéressions aux petites gens ? Ma proposition te surprend? Et pourtant, cela nous ferait du bien. Je suis lassé, fatigué, épuisé, à défaut d'être irrité par ce qui préoccupe nos éditorialistes. Moi qui préfère la sécurité d'un livret A à un all in sur l'action Total, je suis prêt à parier avec toi que, si la situation persiste, nous entendrons prochainement une cohorte de journalistes qualifier de Vatican II l'éviction du présentateur moumouté de la messe du Vingt Heures ! Bien entendu, ou plutôt pas entendu du tout, le moindre mot sur l'arrêt du "Bateau-Livre" ; évidemment, Frédéric Ferney, dans son émission, donnait à lire, réfléchir et s'évader autrement que par le biais des Ch'tis : trop dangereux pour notre démocratie, cette tentative, aujourd'hui tuée, de cultiver notre esprit.

Irrité donc, je trouve refuge dans la galerie Kamchatka pour son exposition "Attentes" d'Adrien Lécuru. Déjà, le mot "Attentes" commence à faire son effet. Ma respiration, malmenée par le blablatage ambiant, retrouve son rythme apaisé. Je découvre ensuite avec bonheur la série présentée par un artiste qui canalise mon regard sur l'homme. Loin, très loin de l'homme-people et de l'homme-qui-se-lève-tôt. Ici, il s'agit de l'homme-humain, espèce que l'on pourrait croire en voie de disparition et qu'Adrien Lécuru nous permet de redécouvrir. Les petites gens justement, au sens noble évidemment, ceux de Raymond Carver, hommes et femmes ordinaires inscrits dans un univers intérieur.

A l'instar de l'écrivain au top 5 de mes auteurs favoris (mais tu t'en fiches), Adrien Lécuru se distingue par l'économie de ses oeuvres qui les rendrait presque surréalistes. Le piège du cliché (notamment dans les toiles présentant un clochard -"NationMan"- ou un petit garçon -"Boy"-) se trouve totalement déjoué par la sobriété. Alors que je pense d'abord regarder des portraits "objectifs" de femmes ("Marguerita" et "Jeanne") ou de fou ("BièreMan") dans des environnements épurés (un banc ou une chaise, une station de RER ou un parc), je découvre en m'approchant que ces réalités sont proposées dans toute leur sensibilité. Pas mièvre mais subtile, cette sensibilité. Les regards des personnages sont vagues ; la position de leurs corps semble être imposée par leur esprit en vagabondage : la résignation du condamné enfoncé dans sa chaise dans "Guantanaberg", la léthargie de l'ivrogne dans "NationMan", la rêverie d'une "Jeanne" alanguie, à moins que ce ne soit de l'abattement ?

Et c'est justement ce qui me plaît dans la série présentée par Adrien Lécuru ; chacun peut se raconter son histoire. Bien sûr, le titre de l'exposition révèle que le dénominateur commun est l'attente. Bien sûr, tous les personnages apparaissent isolés, dans un mystérieux repli. Mais là où je vois un fou ("BièreMan") peut-être verras-tu un homme simplement esseulé.

En opposition à ces anonymes, accrochés au-dessus d'eux, je découvre des portraits d'hommes publics (la médiatisation élèverait-elle ?). Contrairement à "ceux d'en-bas" dont le corps nous est livré entier, Xavier Bertrand ou Jules-Edouard Moustique apparaissent dans "Tryptique bleu" en hommes-troncs sur fond bleu télégénique. Et pourtant, eux aussi sont seuls.

Adrien Lécuru part de photographies découvertes dans la presse, de personnes de son entourage ou prises à leur insu dans la rue mais il n'impose aucune version. Finalement, je quitte l'exposition un peu plus libre...

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Attentes - Adrien Lécuru"
Du 07/06/08 au 10/07/08
Galerie Kamchatka
23 rue Charles V
75004 Paris





8 juin 2008

Guitar heroes

A voir en écoutant : The Seeds - Can’t Seem To Make You Mine


Ca commence par "Jeux interdits", avec hésitation, les doigts pincent les cordes ; ça se poursuit avec "Layla", un soir d'été, sur les quais de Seine, à 16 ans, première sensation vertigineuse d'être devenu un roi devant le regard enamouré des jeunes filles ; ça explose en "Voodoo Child", seul, devant la glace, avec hochements de tête et imaginaires ovations.

Où trouver les origines de cette fascination pour la guitare ? Je peux choisir la version pragmatique : la guitare, c'est léger, pas cher, pas encombrant (il est effectivement plus difficile de traîner son piano, un soir d'été, sur les quais de Seine, à 16 ans). Mais je choisis d'opter pour la version poétique : la guitare, c'est des courbes, des volumes, "Stairway to heaven", "Smoke on the water", "Smells like teen spirit", des mots doux comme Fender, Martin ou Gibson. Ex-joueur de guitare (n'est pas guitariste qui veut) ayant relégué ton instrument au sommet inaccessible de ton armoire, ou ex-jaloux du joueur de guitare (cf le regard enamouré des jeunes filles), je t'invite à te rendre à l'exposition "My Generation" de la Galerie Laurent Strouk présentant les peintures d'Ivan Messac sur le thème de... la guitare.

D'abord, parce que j'aime Ivan Messac, 20 ans en 1968, et que nous devons le venger de ne pas figurer dans l'exposition du Grand Palais consacré au mouvement de la Figuration Narrative dont il est issu. Aussi décomplexé que mon oeil naïf, Ivan Messac a l'audace de ne pas se limiter à un art : il est peintre, sculpteur, parfois romancier (pseudo : Xavier Mariani).
Ensuite, parce que l'exposition est l'occasion de plonger avec délice dans une heureuse nostalgie. L'enfant du Pop Art qui puise son inspiration dans le quatuor BD-photo-ciné-pub, traduit l'énergie et l'attitude de nos guitar heroes par son travail sur la couleur, proposant une autre approche de la réalité.
En prenant le temps (prendre le temps, dernier luxe de l'époque?) devant John Lee Hooker "Boom boom", tu prends la mesure du talent d'Ivan Messac. Chaque couleur tient le rôle principal comme Louise Brooks dans "Une fille dans chaque port" -si tu m'autorises une anachronique analogie cinématographique-, mais chaque couleur est également partie intégrante d'un film-chorale, tel Gene Kelly-Debbie Reynolds-Donald O'Connor-Cyd Charisse dans "Singin' in the rain".

En effet, l'orange des guitares qui entourent la tête de John Lee Hooker sert à auréoler, au sens propre, l'icône du blues ; le bleu qui dessine sa silhouette impose le musicien en véritable maître, droit dans son costume ; le fond vert, enfin, lui confère son caractère unique, il l'isole (l'artiste face à la foule ? le Noir face aux Blancs ? ou le précurseur face aux plagiaires ?). L'ensemble oblige au respect et je te l'avoue, je suis intimidé devant ce portrait.

Par ailleurs, le style "pochoir" n'empêche pas Ivan Messac de retranscrire la facétie de Chuck Berry avec son oeil qui frise ("Sweet little sixteen"), la lunaire dérision de Robert Smith ("Boys don't cry"), l'étrangeté d'un Lou Reed à tendance Frankensteinienne ("The blue mask") ou encore la mystérieuse intériorité de Bob Dylan inscrit dans une guitare ("Knockin'on heaven's door").

Dans ses toiles en apparence fort semblables (des couleurs, des guitares, un musicien), Ivan Messac distille des détails qui accordent à chaque oeuvre, et par conséquent à chaque artiste portraituré, une identité propre.

Je retrouve des éléments connus, à l'instar de la banane du Velvet pour Lou Reed, du Love Symbol de Prince (50 ans depuis peu ; cela signifie-t'il que, moi aussi, je vieillis !) ou des blue suede shoes de Carl Perkins ("Blue suede shoes").
Pour des raisons personnelles, je vote pour Bruce Springsteen ("Blinded by the light"). Le Boss apparaît dans toute son effervescence rock : je constate le corps arqué sur sa Telecaster, j'aperçois la sueur du musicien, manches de chemise retroussées, qui se refuse à toute économie et je devine la foule transportée.
Ce texte est dédié à Elfi, avec le souvenir du poster de Bruce Springsteen.

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Ivan Messac - My generation"
du 30/05/08 au 28/06/08
Galerie Laurent Strouk
8 bis rue Jacques Callot
75006 Paris
www.popgalerie.com

1 juin 2008

Entre deux Indes

A voir en écoutant : Can - Pinch


Du haut de mon oeil naïf, l'Inde est à l'image de la sauce Massala : un mélange détonant d'épices, un contradictoire syncrétisme entre tradition et modernisme. J'ai à l'esprit les chamarrés saris, les énigmatiques castes, la démesure des temples, l'extravagante beauté du Taj Mahal, l'hippiesque Pushkar et le cheese nan. Mais l'Inde me renvoie également au génie informatique, à sa récente conquête de l'espace, à la voiture low-cost Tata (1.820 euros, roues comprises) et à la prolixe industrie cinématographique de Bollywood. Drôle d'inventaire dans lequel Gandhi se perdrait...

Fort de ces apriori et faible de ma méconnaissance de l'art contemporain indien, je saisis l'occasion de l'exposition "New Indians" à la Galerie Natalie Seroussi pour découvrir l'un de ses artistes : Chintan Upadhyay.
Au premier regard, le dualisme me surprend ; je découvre des couleurs et des formes identifiables à l'Inde ancestrale en contradiction avec les factices bébés mutants.
Les toiles sont toutes identiques : de grands rectangles au fond uni sur lequel se détachent des bébés clonés.

Le fond est un aplat dont l'intense uniformité de la couleur suggère l'isolement du bébé. Chintan Upadhyay retranscrit par ce biais la solitude de l'être contemporain dans les villes surdimensionnées, modelées par les nécessités économiques et sans souci des aspirations de l'humain. L'expérience semble avoir été celle de l'artiste, originaire du traditionnel Rajasthan et ayant migré vers l'étourdissante Bombay. Sur la toile, le détail récurrent de l'ombre du bébé renforce l'isolement ; le clone est incrusté dans sa solitude.

Les bébés, véritables robots, sont semblables d'une toile à l'autre. La référence au transgénisme et au clonage est évidente. La société qui apparaît sous les pinceaux de l'artiste est une nouvelle réalité du monde, une "hyper-réalité" qui, par son excès, s'éloigne finalement du réel. Les clones n'ont pas d'identité propre ; ils sont sans substance. Seuls les extraits des peintures miniatures du Rajasthan et des images du Kama Sutra tatoués sur leur corps leur imposent une personnalité. Je m'interroge : l'artiste serait-il le seul aujourd'hui à traduire la diversité dans un environnement où prime la rassurante uniformité ?

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "New Indians - Chintan Upadhyay"
Du 29/05/08 au 29/06/08
Galerie Natalie Seroussi
34 rue de Seine
75006 Paris