25 mai 2008

Casablanca, sans Rick et Ilsa

A voir en écoutant : Chemical Brothers - Galvanize



Cher lecteur,


je le suspecte, je le sens, je le sais : tu m'en veux. Il est vrai que je t'ai habitué à une missive hebdomadaire ; il est vrai que j'ai failli à cette régularité (tu noteras tout de même que c'est seulement la deuxième fois depuis notre rencontre) ; mais il est vrai, aussi, que j'ai une excuse indiscutablement irréfutable.
Je m'explique : invité au mariage de J. et M. à Marrakech (oui, j'ai des relations), je pense m'envoler vers la ville ocre. Alors que je survole déjà les Causses du Quercy, je constate que mon empressement à me bâfrer de cornes de gazelle et de pastilla m'a fait embarquer dans l'avion en direction de Casablanca ! Si encore je m'étais trompé pour atterrir à Rabat et profiter du festival qui accueille George Benson et Whitney Houston (bientôt, le Maroc, ce sera l'Amérique). Mais non, il faut que je tombe sur la ville qui a vu naître Arthur, Bernard Montiel et Richard Virenque ! Eu égard à l'estime que je porte aux Casablancais, je dois tout de même préciser qu'Alain Souchon et Larbi Benbarek - pour les incultes, ce Monsieur détient le record de la plus longue carrière en équipe de France, de 1938 à 1954 - y sont également nés.

Entre deux thés à la menthe sirotés à la terrasse de Chez Paul (soucieuse du déficit de la Sécurité sociale, je pense faire prochainement circuler une pétition pour qu'une terrasse semblable soit créée à Paris, stoppant ainsi irrémédiablement la consommation de Prozac par mes concitoyens), je profite des façades Art Déco de la ville et de son Mégarama qui possède le 2ème plus grand écran de cinéma au monde, après L.A. (quand je te dis que le Maroc, c'est l'Amérique !).
Néanmoins, attaché à notre relation et aux promesses que je t'ai faites, je me fais un devoir de me rendre à la Galerie Memoarts pour son vernissage de l'exposition "Quatre peintres russes au Maroc - Paysages de là-bas et scènes d'ici" présentant les oeuvres de Valery Boussyguine (né en 1952), Eugeni Bourmakine (né en 1951), Irina Plekhanova (née en 1969) et Maryna Vidinyova (née en 1975).

Au fil de nos échanges, tu as pu découvrir mes sensibilités. Il est vrai que les romantiques paysages n'ont pas mes faveurs. Cependant, l'exposition doit être visitée pour l'originalité de son propos : la présentation concomitante d'académiques peintures de paysages de Russie et d'hyper-réalistes (sic) peintures de scènes de la vie quotidienne marocaine, chacun des thèmes étant traité par les quatre artistes. L'exposition donne ainsi à réfléchir à l'influence de l'environnement sur le travail de l'artiste.
La preuve par l'exemple avec deux oeuvres de Valery Boussyguine : ses "Premiers jours de printemps" contrastent avec son "Jour torride".

Dans le premier, les prémices du printemps russe s'annoncent dans un paysage sans limite où la luminosité diffuse renvoie à une intemporalité dans laquelle l'humain n'a pas sa place. L'horizon domine.

Dans le second, au contraire, la scène est cadrée et le mur est l'élément qui impose à mon regard de se concentrer sur les trois personnages ; le travail de l'ombre et la lumière y traduit l'écrasante chaleur. L'humain et les détails de son quotidien dominent.
Ainsi, l'influence de l'environnement est manifeste pour ces quatre peintres qui adressent une vision romantico-lyrique de la Russie et observent avec une curieuse minutie les détails du Maroc, rendant ainsi familier un pays qui leur est étranger.

A toi de voir... et revoir Casablanca, Humphrey et Ingrid.

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Quatre peintres russes au Maroc - Paysages de là-bas et scènes d'ici"
Du 20/05/08 au 02/06/08
Galerie Memoarts
51 rue Abdelkrim Diouri
Casablanca
www.memoarts.com

11 mai 2008

Morceaux choisis de Saint-Germain

A voir en écoutant : Kiiiiiii - 4 Little Joeys


Pour commencer, une devinette : le point commun entre les Encyclopédistes, Marat, Danton, Sartre, Vian, Gréco, Truffaut, Prévert, Giacometti et maman ? Je t'entends déja appuyer sur le buzzer : Saint-Germain-des-Prés !!
Je pensais que nous n'irions plus jamais à Saint-Germain-des-Prés en raison de la délibrairisation (sic) du quartier, de son déclin en empire américain et de sa transformation en vilain supermarché de luxe.
Néanmoins, confessant mon ancrage à gauche (je parle de la rive), je pars, armé de ma seule opiniâtreté, à la recherche d'un éventuel appétit créatif qui aurait survécu. La tâche se révèle d'autant plus ardue qu'après avoir fait sa Callas, le soleil est enfin de retour. Alors que toi, lecteur, tu profites outrageusement des bords de Seine, des plages du Vieux-Boucau-les-Bains, des rives du lac Michigan, des côtes de Kyushu ou des berges du Spree, je dois refuser toute tentation de siroter un thé glacé sur le Pont des Arts pour accomplir ma mission.

Au coeur de Saint-Germain, mon oeil naïf est pris en flagrant délit de honteuse facilité : il est attiré par la vitrine de la Galerie Laurent Strouk où un homme bleu porte le fameux "radiant baby" de Keith Haring (1958-1990) -certes, l'exposition sera achevée quand tu liras ces lignes mais il m'est impossible de ne pas te la faire partager-.
Je reconnais ma faiblesse ; j'ai en tête les images percutantes des produits dérivés à l'excès, les t-shirts, les mugs et autres calendriers, lorsque je franchis le seuil de la galerie. Finalement, face aux oeuvres, le merchandising cède la place à la réalité d'un travail artistique : les traits pourraient être qualifiés de simplistes, ils m'apparaissent plutôt primitifs et divulguent un message sans équivoque dont la compréhension est immédiate.

J'entends certains se gausser : "ça ressemble à ce que mon petit dernier a dessiné pour la fête des mères" ; eh bien, il faut l'inscrire immédiatement aux Beaux-Arts, le petit dernier, si son tracé est aussi direct, fluide et véloce que celui de Keith Haring. Enfin, bien que les oeuvres de l'artiste soient totalement identifiables, elles n'en sont pas moins diverses, que ce soit dans la représentation ("Andy Mouse", 1985 et "Dog", 1986), ou dans la forme (peinture, sculpture, masque).

Quittant la Galerie Laurent Strouk, je m'aperçois que le baobab dans ma main photosynthèse grâce au soleil et se sentirait mieux, arrosé d'un diabolo-menthe à la terrasse de la Palette. En me dirigeant vers mon oasis, je suis attiré par une cible colorée dans la vitrine de la Galerie Natalie Seroussi. "La cible" justement, d'Evelyne Axell (1935-1972) : un homme et une femme, 70's, sont assis entourés d'une luxuriante végétation ; leur chevelure dessine une cible arc-en-ciel.

Je découvre le travail d'une artiste belge pop qui joue avec le plexiglas qu'elle colore à l'émail. Je suis alors transporté en pleine période hippie. Derrière les collages réalisés par l'artiste, je retrouve les couleurs typically seventies, les lunettes rondes à la John Lennon et les corps libérés (mai 68 est passé par là) représentés dans une simple et douce rondeur. Parmi les oeuvres exposées, je repère un collage en contraste avec les autres. M'approchant, je découvre une araignée menaçante aux couleurs de la bannière étoilée s'avançant vers le portrait d'une femme à la coiffure afro qui regarde au loin avec une sereine dignité ; je reconnais Angela Davis ("Angela Davis II", 1972).

Plus tard, c'est un autre portrait qui me saisit. Un homme noir, de trois-quart, me toise. Le cheveu et la barbe sont blancs. Le visage, baigné de lumière, est marqué par le temps. Le paysage est aride. L'attitude est digne et l'homme, magnifique. Je suis fasciné.
La Galerie du Fleuve présente les peintures de François Bard (né en 1959). A la féminité des oeuvres d'Evelyne Axell, s'oppose la masculinité de celles de François Bard.
Le format des toiles m'impressionne. Le vernis que l'artiste laisse couler date les toiles, qui semblent ainsi avoir été livrées aux éléments. L'arrière-plan, systématiquement horizontal, n'offre pas la moindre accroche ; le sujet s'impose donc au regard. En toute absurdité.

Absurde, la façon dont l'artiste s'empare d'éléments anecdotiques : un chien devant les jambes de son maître, un homme cadré des épaules aux genoux.
François Bard parvient à donner du poids, voire de la pesanteur, à cette absurdité par la densité de la peinture telle qu'il la travaille. Ses oeuvres, derrière leur apparente solidité, nous interrogent, à l'instar des écritures que l'on devine sur les toiles. L'art de François Bard réside en ce qu'il s'en tient à la question ; il nous livre une oeuvre brute, renvoyant l'observateur à une imaginative liberté.

Finalement, je reviendrai à Saint-Germain-des-Prés (n'ai pas eu le temps de faire les boutiques...).

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition Keith Haring
Galerie Laurent Strouk
8 bis rue Jacques Callot
75006 Paris
www.popgalerie.com

Exposition Evelyne Axell
Galerie Natalie Seroussi
34 rue de Seine
75006 Paris

Exposition François Bard
Galerie du Fleuve
6 rue de Seine
75006 Paris

4 mai 2008

Montrouge-Montrouge

A voir en écoutant : Glass Candy - Etheric Device


Montrouge, 42.002 habitants, Sud-Ouest de Paris. Dans le passé, Montrouge s'étend au Nord jusqu'à Montparnasse ; au cours de l'histoire, elle perd 2/3 de sa superficie et ne s'étend plus que sur 207 hectares. Aujourd'hui, l'heure de la revanche a sonné : le 53e Salon d'Art Contemporain de Montrouge fait pâlir de jalousie les galeristes, de Tribeca au Marais.

Le vernissage du 22 avril est certainement l'un des événements majeurs de l'année (avec -je te l'accorde- le Festival de Cannes). Délicat champagne, goûteux sushis et subtils petits-fours sucrés ridiculisent la soirée du Martinez. Surtout, peintures, sculptures, photographies, videos, installations : tous les supports artistiques sont présents ; François Pinault et ses oeuvres n'avaient réellement d'autre choix que de s'exiler à Venise.

200 oeuvres de 200 artistes sont exposées dans une mise en scène optimale, sans thème ni orientation artistique spécifique. Le multiple est roi. Et pourtant...
Une sensation étrange s'empare de moi alors que j'arpente les deux niveaux du théâtre de Montrouge. Une sensation que je connais mais que je n'ai plus éprouvée depuis longtemps et que je peine à définir. Soudain, je peux la nommer : malgré mon pouvoir d'achat en berne, malgré le réchauffement de la planète et le refroidissement de nos relations avec la Chine, malgré la possible relégation du PSG en 2e division, j'ai retrouvé ludisme et vitalité, saupoudrés d'un brin de dérision. Bref, du plaisir.
Effectivement, de cette diversité, émerge un vivifiant foisonnement à dominante colorée qui surprend et fait du bien en ces temps de blues national.

Mon oeil est plus particulièrement attiré par les photographies et les peintures -serait-il conservateur ?- que par les installations (pseudo) conceptuelles : le tournant et pailleté planeur en modèle réduit me procure autant d'émotion que la lecture du Gavalda.

Ainsi, mon regard se dirige vers Johanna Blin (Repentir), Eun Hee Kim (Monologue), Stéphane Lamy-Rousseau (Epanouie), Eugénie Stéphanie Leigh (Chambéry autrement), Gabriel Léger (Personne ne peut m'échapper), Hye Rine Park (Un garçon, il voyage), Axel Sanson (Human decision required 03), Zijian Sha (8 heures du soir).
Définitivement, les jeunes créateurs rassurent quant à la vigueur de l'Art Contemporain.
A présent qu'il est clair que la visite du Salon s'impose, tu auras l'exquise surprise de découvrir les photographies peu connues du Dali de Draeger, véritable "maître" imprimeur d'art montrougien.

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

53e Salon d'Art Contemporain de Montrouge
Du 24/04/08 au 14/05/08
Place Emile Cresp
92120 Montrouge