30 mars 2008

De la nécessité d'improviser

A voir en écoutant : Ghostface and Jadakiss - Run (Ratatat remix)


Cher lecteur,

comme toute relation intense, la nôtre a parfois un goût d'addiction. Tu connais mon enthousiasme hebdomadaire à t'écrire et je connais ton avide impatience à me lire -même si ta fière timidité en ce début de relation te freine pour me l'avouer-. Pourtant, j'ai cru ne pas pouvoir t'écrire cette semaine.
Comme à mon habitude, j'ai choisi un vernissage pour te faire partager mon regard d'oeil naïf. J'accède à une galerie située rue Quincampoix. Mon regard fait le tour de la galerie et je m'interroge rapidement : où sont exposées les oeuvres ? Plus attentif, je m'aperçois que l'une d'elle me fait face. Le jeu de piste commence alors ; je pars à la recherche des autres. J'en trouve quatre et réussis à en dresser un portrait-robot : de minuscules cartes postales en noir et blanc (à moins que ce ne soit des photographies tirées d'un manuel scolaire d'Oettingen de l'année 1953-1954) présentant des paysages forestiers et montagneux allemands sur lesquels des traits argentés aux formes géométriques sont tracés (!). Fin limier, je parviens à trouver la dernière pépite coincée entre un poteau et le buffet dressé à l'occasion du vernissage (en cas de rupture de petits fours, pas de panique, la porte de la cuisine est grande ouverte). Un choix cornélien s'impose alors : s'effondrer d'exaspération ou sombrer dans une tordante hilarité. J'opte pour la dernière solution et suis les recommandations de Ghostface et Jadakiss : RUN !!!! Dans ma fuite, mon regard se pose une dernière fois sur les murs et je m'aperçois que le papier-peint n'est pas très catholique : le revêtement mural est peut-être une oeuvre ?! Bien que j'en aperçoive deux morceaux enfermés dans un cadre, je décide aussitôt d'ignorer la réponse.

Tu comprends à présent mes inquiétudes : de quoi allais-je bien pouvoir te parler ?


Heureusement, je me suis souvenu que j'avais été John Coltrane dans une précédente vie. J'ai retrouvé mon sens de l'impro en visitant une autre galerie de la rue Quincampoix, la Galerie Issue et l'exposition "Use of a fake ID is a crime" d'Axel Sanson.
Outre que ce lieu me soit apparu comme une véritable bouée de sauvetage, il est polymorphe : galerie, café, atelier, studio.

Concernant la première série de dessins, "Bicycle Gangs", Axel Sanson a travaillé à partir de photographies issues du livre de Sherryl Dunn : "Bicycle gangs of New York". Si tu es un(e) Colette-maniaque, cela te parle car ce concept-store hypeux, s'il en est, avait déjà présenté des ouvrages sur les communautés de bicycle gangs créant un hasardeux engouement parisien pour les vélos de poursuite, dont l'utilité est certaine pour le coursier de Manhattan mais sujette à interrogations pour le néo-écolo parisien. Sketchs pris sur le vif, les dessins retranscrivent les codes des bicycle gangs. Sous les traits d'Axel Sanson, apparaissent attitudes, postures et règles vestimentaires. Bien que le traitement soit différent, j'ai retrouvé l'identique importance de la photographie dans les travaux de Gökce Celikel et d'Axel Sanson. Tous deux utilisent des photographies, personnelles pour l'une, trouvées pour l'autre, et cette source est manifeste dans les "retranscriptions" qu'ils nous proposent.

Davantage encore que la série "Bicycle Gangs", la série des dessins "Far East" a retenu mon attention. Contrairement aux colorés riders lookés, les cow-boys sont tracés en noir et blanc.
Cependant, le contraste ne s'arrête pas là. Alors que les membres des bicycle gangs sont inscrits dans le mouvement et le contemporain, les cow-boys sont démodés. Concentrés sur leurs inattendus instruments de musique parsemés de touches de couleur et avec leur air "en-dedans", ils semblent protégés du tumulte. Et ça fait du bien...

A toi de voir... vite car le décrochage a lieu jeudi 3 avril.


Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Use of a fake ID is a crime" d'Alex Sanson, à découvrir également quelques peintures de l'artiste
du 05/03/08 au 03/04/08
Galerie Issue
38 rue Quincampoix
75004 Paris
www.lissue.com




17 mars 2008

Le remède au bling-bling

A voir en écoutant : CocoRosie - Promise


Cher lecteur,

cela fait maintenant quelques petites semaines que nous nous fréquentons. Je pense qu'il est désormais temps que je me livre et que je partage avec toi irritations, agacements et autres exaspérations (notre relation deviendrait-elle cathartique ?). Au menu de cette semaine, je ne supporte plus tout ce blabla autour du bling-bling. Le mot seul suffit à provoquer en moi des réactions convulsives et spasmodiques, dignes du plus grand bling-blingophobe que je suis.
Et pourtant.... En découvrant les oeuvres de Gökce Celikel dans "Exposed" à la Galerie e.l Bannwarth, j'ai pu constater que la vue de bagues-qui-brillent et de montres-qui-clinquent n'a pas généré les habituelles crises d'hystérie.
Bien sûr, Gökce Celikel n'est pas la dernière à se fendre de narcissisme. Elle reproduit dans ses toiles peintes à l'huile des autoportraits photographiques, façon journal intime adolescent à la mode expressionniste. Il faut voir "Electro Flashy Orange" et "Rainbow Candy" dans lesquelles elle se peint tenant une sucette, attitude mi-effrontée mi-joueuse.

Bien sûr, Gökce Celikel distille dans ses peintures des accessoires vénérés par ceux qui font de l'ostentation une raison d'être. ô la belle grosse montre que l'on devine dans "Autoportrait avec sa montre", ô le gros beau diamant qu'elle croque dans "Diamond Crunches".
Comment expliquer alors que ce déballage ne me révulse pas ?
D'abord, l'ironie. Gökce Celikel semble ne pas se prendre au sérieux et cela rassure. Sous le vernis du glamour (toutes ces bouches peintes de rouge), je vois poindre un subtil jeu de séduction-manipulation arrosée de malignité bénigne.
Ensuite, le travail sur les matières. Outre le tissu soyeux du sac dans "Ellen & G, crossed eyes", j'aime le réaliste teint mat outrancier du visage de "Diamond Cruncher".
Enfin, le cadrage. "Rainbow Candy" illustre parfaitement le talent de Gökce Celikel à restituer dans ses toiles au grand format le cadrage particulier des photographies qu'elle prend à bout de bras. La contre-plongée est accentuée par la densité des couleurs choisies en arrière-plan de ses portraits sur-dimensionnés.
Mais voilà, l'exposition "Exposed" s'est achevée le 18 mars. Pourquoi t'en parler alors ? Parce que tu retrouveras forcément Gökce Celikel dans d'autres manifestations. Parce que le programme à venir de la toute nouvelle Galerie e.l Bannwarth (4 semaines à peine) mérite le détour. Enfin, parce qu'avant ou après avoir découvert les artistes contemporains exposés dans ce lieu dissimulé au fond d'une cour, tu profiteras de la terrasse du café situé au coin de la rue Julien Lacroix (je t'en conjure, n'ébruite pas cette adresse, les terrasses comme celle-là sont bien trop rares).
A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Gökce Celikel
www.gokcecelikel.com

Galerie e.l Bannwarth
68 rue Julien Lacroix
75020 Paris
www.galeriebannwarth.com

12 mars 2008

De la couleur dans les giboulées

A voir en écoutant : MGMT - Electric Feel


Cher lecteur,

résidant dans un périmètre délimité par Sangate ... au Nord, le Boulou au Sud, Hirsingue à l'Est et Port-Joinville à l'Ouest, je subis comme toi la mauvaise et lunatique humeur de notre météo.
Décidé à ne pas échouer comme certains, j'ai trouvé le remède pour traverser les giboulées en n'ayant même pas mal au moral : l'exposition "Overflow" de Griffin 1976 à la Galerie Nadine et Tom Verdier.
Je te prescris donc cette visite pour plusieurs raisons.
1. Griffin 1976 himself et sa technique unique.
Outre qu'il soit affable, Griffin 1976 a la particularité d'aimer les mots en "iste". De juriste, Griffin est devenu artiste. Néanmoins, il a conservé quelques séquelles de sa précédente activité professionnelle : c'est un obsédé du Powerpoint. Aussi surprenant que cela puisse paraître à l'observation des oeuvres, celles-ci sont effectuées à partir du logiciel que tu maîtrises parfaitement pour la présentation des targets de ton équipe ou le nouveau Marketing Plan décidé par ton acariâtre boss. Griffin 1976, lui, l'utilise pour réaliser des oeuvres atypiques, où foisonnent éléments graphiques, personnages, symboles et alphabets.
2. Une saturation étudiée.
Griffin 1976, jeune homme de 32 ans (je ne t'ai pas dit qu'il est né en 1976 ?), a été élevé à la pub, à la BD et aux images déversées en continu par les medias. Il ne conteste pas le déferlement de ces informations (c'est son choix...). Au contraire, il les intègre dans ses oeuvres par une superposition orchestrée où le premier impact visuel est communiqué par la couleur.
3. Un jeu de piste.
Tu peux t'adonner au ludisme en tentant de retrouver, plus ou moins dissimulés dans les toiles, certains personnages de la mythologie (au fait, je ne t'ai pas dit que Griffin vient de griffon?), des peintures de la Renaissance (parjure ?), des zeppelins et autres objets volants, super-héros compris. Mieux encore, tu pars à la recherche du temps, non pas perdu, mais accéléré où des éléments se retrouvent d'une toile à l'autre, transformés ou non.
Maintenant...à toi de voir....

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition "Overflow" de Griffin 1976
du 05/03/2008 au 05/04/2008
Galerie Nadine et Tom Verdier
3 rue Saint-Claude
75003 Paris
www.galerieverdier.com

9 mars 2008

Que photographie un photographié ?

A voir en écoutant : Ariel Pink - For Kate I Wait


La question m'obsède en me rendant au vernissage de la Galerie Bailly Contemporain pour les expositions "Réflecteur", galerie côté Cour, et "Hérésie", galerie côté Quai.
Le principe : des mannequins, habitués aux crépitements des flashs, passent derrière l'objectif.
A quoi m'attends-je ? des photographies trop glamour ou trop luxueusement trash et des poses trop faussement alanguies.
Point de tout cela malgré, côté Quai, des photographies prises dans un haut lieu trendy, revival quelque peu factice du Palace des 80's, sauce trash-rock-à-la-Larry-Clark en couleur ; malgré, Côté Cour, des photographies à l'impeccable graphisme noir et blanc, saveur Vogue de luxe -c'est dire-.
Point de tout cela, disais-je. Ce qui me frappe, c'est l'éclectisme des regards de ces modèles devenus photographes.
Mais reprenons chacune des expositions en détail.

"Hérésie" propose les oeuvres de trois artistes où désordre, débordement de plaisir et décadence -peut-on encore être décadent aujourd'hui ?- sont mêlés. L'une, Stéphanie Bailly, donne à partager son voyeurisme ; l'autre, Jérémy Barrois, suggère une prise sur le vif dans des photographies pourtant librement posées. La noirceur colorée des oeuvres -oxymore justifié dans ce cas de figure, je t'assure- est exacerbée par l'espace restreint de l'exposition. Enfin le troisième, Christian Fournier, explore l'art qui filme l'art en projetant un film de 6 minutes révélant les photographes à l'oeuvre. Ma paranoïa trouve là une occasion de se répandre puisque cette oeuvre me renvoie à l'omniprésence des caméras de surveillance... Brrr....

"Réflecteur" met à mal mon sens de la synthèse. Je m'amuse d'abord, m'échine ensuite, à trouver une relation entre les oeuvres de ces douze photographes ; ma conclusion est sans appel : aucun syncrétisme n'est possible. Diversité des sujets, des formats et des techniques. Tu pourras à loisir effectuer ta gymnastique faciale tant l'exposition est l'endroit idéal pour travailler tes expressions visagistiques (sic). Je peux en témoigner. Je ris devant la série de portraits de Barbara d'Alessandri (reconnaitras-tu le rire d'A.C. ?). Je suis fasciné par la démesure du corps de "Lisa" photographié par Stéphanie Bailly. Je suis intrigué par le caractère insolite de la grenouille de Christina Kruse, mélange d'image publicitaire -au premier plan, le produit vanté- et de loufoquerie -imagine, une grenouille dans un bocal, des nattes et des taches de rousseur-. Enfin, Jacques Tati s'étant réincarné en ma personne, je suis hypnotisé par le graphisme des oeuvres de Gaspar Dietrich.

Concluons par l'enigmatique "beauté des laids" de Serge Gainsbourg, en revenant à l'entrée de l'exposition avec ces deux photographies vers lesquelles je retourne à plusieurs reprises sans pouvoir me l'expliquer. Qu'en penseras-tu ?
A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Expositions "Réflecteur" et "Hérésie"
du 29/02/2008 au 29/03/2008
Galerie Bailly Contemporain
25 Quai Voltaire
75007 Paris, à redécouvrir également les oeuvres de Lee Miller et de Milan Vukmirovic
www.galeriebaillycontemporain.com

2 mars 2008

Qui est in, qui est out

A lire en écoutant : Serge Gainsbourg - Qui Est In, Qui Est Out



Cher lecteur,

alors que notre relation débute à peine, je me vois dans l'immédiate obligation de nous éviter tout malentendu afin de garantir à notre couple harmonie et durabilité (je te le rappelle, 1 divorce sur 3 mariages en province et 2 sur 3 en région parisienne, faute de préalable mise au point). Alors, sache-le : la question "Qui est in, qui est out" ne sera pas posée ici. Pire encore, elle sera bannie, proscrite, honnie et interdite.
Les tendances, mon oeil, il les ignore, au sens propre et au sens figuré. Naïf, il se ballade de vernissages en expositions. Sans préjugé, sans posture. Ami de Max, il considère que "l'art est un jeu d'enfant" et appréhende avec ses sens ce qui lui est donné à voir.
Pour tout te dire (nous formons un couple maintenant, alors point de cachotteries), mon oeil est animé par une envie de meurtre : le meurtre d'un accent circonflexe. Mais pas de n'importe quel accent circonflexe ; sa victime est ciblée. Il s'agit de l'accent circonflexe dont se dote le mot Art lorsque nous le prononçons : "âââârt" ! Et voilà que nous sommes au coeur du propos de ce blog : vivre autrement notre rapport à l'art et aux artistes. Le partage étant l'une des clés de la réussite d'un couple, partageons notre plaisir : à travers mon oeil naïf et mon regard averti (tu l'apprendras au fil de nos rendez-vous, je suis un être paradoxal mais suis-je le seul ?), à moi, le plaisir de te communiquer mon envie d'aborder l'art sans complexe et avec délectation ; à toi, celui de découvrir les oeuvres d'artistes contemporains qui te raviront ou pas, qui te surprendront ou pas, qui t'agaceront ou pas. A toi de voir....

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.