15 septembre 2008

Les Lauréats

A voir en écoutant : Theoretical Girl - Hypocrite


Alors voilà. Ils ne parlent plus que de ça. L'ex-trader, roi du neo-pop-art kitschissime, adulé des neo-riches et dont les oeuvres se vendent aussi cher qu'Usain Bolt court vite (c'est dire...) expose à Versailles. Jeff Koons chez Louis XIV et Marie-Antoinette. Audacieuse ou honteuse rencontre ? Blasphème, sacrilège, hurlent certains. Pour la plupart, il s'agit d'un tête-à-tête entre deux univers que plusieurs siècles séparent mais que l'aspiration à éblouir et à fasciner rapprochent ; on dirait une histoire comparée du bling-bling.
Fort de la subtilité dont il s'enorgueillit - à moins que ce ne soit son snobisme pour une fois, va savoir -, mon oeil naïf préfère te parler d'une autre rencontre, celle qui se tient à la Galerie Baudoin Lebon entre deux photographes, Aurore Valade et Guillaume Lemarchal. La Fondation HSBC pour la Photographie a eu l'heureuse initiative de les désigner Lauréats de son édition 2008.
Les photographies de l'une sont aussi colorées, foisonnantes et maniéristes que les photographies de l'autre sont effroyablement blanches, silencieuses et poétiques. Pourtant, tous deux nous parlent des hommes. Aurore Valade choisit de nous montrer dans une théâtrale présence quand Guillaume Lemarchal nous évoque par notre absence, au travers des empreintes indélébiles que nous abandonnons.

Aurore Valade - La frontière entre fiction et réel.
Aurore Valade s'invite chez nous. Partant du réel des vrais gens dans leurs vrais appartements, elle ne photographie pas des personnes dans leurs intérieurs, contrairement aux apparences, mais des intérieurs avec des personnages. Elle met en scène des individus, joue avec la scénographie qu'elle élabore. Les poses des personnages les inscrivent dans la scène au même titre que les décors.

La plante, le chat au sol et celui reflété dans le miroir, le rideau et la femme assise sur le lit, jambes croisées, sont autant d'éléments d'un monde reconstruit par l'artiste. Loin du voyeurisme, les photographies sont proches du théâtre. Le travail sur la lumière, la disposition, voire la profusion chaotique des objets et les poses dramatisées confèrent à la réalité l'aspect de la fiction.

Metteur en scène, peintre, Aurore Valade est aussi, à sa manière, sociologue. Au-delà du cliché et du maniérisme, ses photographies renvoient à des réalités sociales, économiques et culturelles. Ainsi, une femme langoureuse vêtue de sa robe de gala et entourée de ses fauteuils et tableaux donne à voir ses signes extérieurs de richesse. Plus tard, c'est au travers d'une combinaison rouge, d'un dessus de lit, d'une Sainte Vierge ou encore d'un papier-peint à fleurs que je retrouve codes sociaux et stéréotypes.

Guillaume Lemarchal - De l'ambiguité du blanc.
Après l'éparpillement des photographies d'Aurore Valade vient la concentration propre à celles de Guillaume Lemarchal. Mon premier contact avec les oeuvres du photographe est ce cabanon jaune trônant au milieu de l'immensité de la neige. Expérience esthétique qui me trouble.

Par la suite, je m'attarde sur la photographie d'un paysage : un banc abandonné de toute présence humaine, faisant face à un lac, quelques arbres dépourvus du moindre feuillage et cette même neige glaciale. Je m'interroge : certes, aucun signe de présence humaine et pourtant, je l'entends. Ou plutôt, je la devine au travers de ses contructions, de son antérieure occupation du lieu.

Voilà la force des photographies de Guillaume Lemarchal. Tu peux chercher, tu ne trouveras aucun homme mais son intervention est évidente. Les paysages présentés en conservent la mémoire : de bâtiments militaires désaffectés en jardins publics désertés, l'artiste utilise notre absence pour mieux parler de nous. Il convoque notre imaginaire. Dans ces paysages d'Allemagne ou d'Estonie, des événements ont eu lieu, événements individuels (le jardin d'enfants) ou concernant la communauté (monuments historiques, base millitaire). Derrière la façade poétique, sourdre une tension, une angoisse. Je suis forcé à nous interroger : que faisons nous du territoire qui nous est donné ? Nous sommes responsabilisés ; quelque chose du passé reste encore présent par-delà le froid et le silence de la neige. De l'ambiguité du blanc...

Réjouissons-nous. La Fondation HSBC pour la Photographie coédite un ouvrage monographique pour chacun des deux artistes et organise plusieurs expositions de leurs oeuvres. Un tremplin mérité.

A toi de voir...
Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

La Fondation HSBC pour la Photographie expose
Aurore Valade et Guillaume Lemarchal
du 04/09/2008 au 27/09/2008
Galerie Baudoin Lebon
38 rue Sainte-Croix de la Bretonnerie
75004 Paris
www.baudoin-lebon.com

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Intéressant ce contraste... Tu m'as donné envie de jeter un oeil sur le travail de ces lauréats. Au passage une question : et si Jeff Koons était plus subtil que tu ne le laisses entendre ? S'il était un héritier de Dada ????

Anonyme a dit…

Je me surprends d'oublier l'oeuvre (zapper comme disent les jeunes et les moins jeunes d'aujourd'hui, quel vilain mot)sous le charme de l'écriture. Ce texte qui me permet de découvrir et d'apprécier l'oeuvre.

bravo et merci

Anonyme a dit…

"L'art ne reproduit pas le visible, il rend visible" Paul Klee

Merci de me permettre de mieux regarder les oeuvres de ces artistes.

un profane