11 mai 2008

Morceaux choisis de Saint-Germain

A voir en écoutant : Kiiiiiii - 4 Little Joeys


Pour commencer, une devinette : le point commun entre les Encyclopédistes, Marat, Danton, Sartre, Vian, Gréco, Truffaut, Prévert, Giacometti et maman ? Je t'entends déja appuyer sur le buzzer : Saint-Germain-des-Prés !!
Je pensais que nous n'irions plus jamais à Saint-Germain-des-Prés en raison de la délibrairisation (sic) du quartier, de son déclin en empire américain et de sa transformation en vilain supermarché de luxe.
Néanmoins, confessant mon ancrage à gauche (je parle de la rive), je pars, armé de ma seule opiniâtreté, à la recherche d'un éventuel appétit créatif qui aurait survécu. La tâche se révèle d'autant plus ardue qu'après avoir fait sa Callas, le soleil est enfin de retour. Alors que toi, lecteur, tu profites outrageusement des bords de Seine, des plages du Vieux-Boucau-les-Bains, des rives du lac Michigan, des côtes de Kyushu ou des berges du Spree, je dois refuser toute tentation de siroter un thé glacé sur le Pont des Arts pour accomplir ma mission.

Au coeur de Saint-Germain, mon oeil naïf est pris en flagrant délit de honteuse facilité : il est attiré par la vitrine de la Galerie Laurent Strouk où un homme bleu porte le fameux "radiant baby" de Keith Haring (1958-1990) -certes, l'exposition sera achevée quand tu liras ces lignes mais il m'est impossible de ne pas te la faire partager-.
Je reconnais ma faiblesse ; j'ai en tête les images percutantes des produits dérivés à l'excès, les t-shirts, les mugs et autres calendriers, lorsque je franchis le seuil de la galerie. Finalement, face aux oeuvres, le merchandising cède la place à la réalité d'un travail artistique : les traits pourraient être qualifiés de simplistes, ils m'apparaissent plutôt primitifs et divulguent un message sans équivoque dont la compréhension est immédiate.

J'entends certains se gausser : "ça ressemble à ce que mon petit dernier a dessiné pour la fête des mères" ; eh bien, il faut l'inscrire immédiatement aux Beaux-Arts, le petit dernier, si son tracé est aussi direct, fluide et véloce que celui de Keith Haring. Enfin, bien que les oeuvres de l'artiste soient totalement identifiables, elles n'en sont pas moins diverses, que ce soit dans la représentation ("Andy Mouse", 1985 et "Dog", 1986), ou dans la forme (peinture, sculpture, masque).

Quittant la Galerie Laurent Strouk, je m'aperçois que le baobab dans ma main photosynthèse grâce au soleil et se sentirait mieux, arrosé d'un diabolo-menthe à la terrasse de la Palette. En me dirigeant vers mon oasis, je suis attiré par une cible colorée dans la vitrine de la Galerie Natalie Seroussi. "La cible" justement, d'Evelyne Axell (1935-1972) : un homme et une femme, 70's, sont assis entourés d'une luxuriante végétation ; leur chevelure dessine une cible arc-en-ciel.

Je découvre le travail d'une artiste belge pop qui joue avec le plexiglas qu'elle colore à l'émail. Je suis alors transporté en pleine période hippie. Derrière les collages réalisés par l'artiste, je retrouve les couleurs typically seventies, les lunettes rondes à la John Lennon et les corps libérés (mai 68 est passé par là) représentés dans une simple et douce rondeur. Parmi les oeuvres exposées, je repère un collage en contraste avec les autres. M'approchant, je découvre une araignée menaçante aux couleurs de la bannière étoilée s'avançant vers le portrait d'une femme à la coiffure afro qui regarde au loin avec une sereine dignité ; je reconnais Angela Davis ("Angela Davis II", 1972).

Plus tard, c'est un autre portrait qui me saisit. Un homme noir, de trois-quart, me toise. Le cheveu et la barbe sont blancs. Le visage, baigné de lumière, est marqué par le temps. Le paysage est aride. L'attitude est digne et l'homme, magnifique. Je suis fasciné.
La Galerie du Fleuve présente les peintures de François Bard (né en 1959). A la féminité des oeuvres d'Evelyne Axell, s'oppose la masculinité de celles de François Bard.
Le format des toiles m'impressionne. Le vernis que l'artiste laisse couler date les toiles, qui semblent ainsi avoir été livrées aux éléments. L'arrière-plan, systématiquement horizontal, n'offre pas la moindre accroche ; le sujet s'impose donc au regard. En toute absurdité.

Absurde, la façon dont l'artiste s'empare d'éléments anecdotiques : un chien devant les jambes de son maître, un homme cadré des épaules aux genoux.
François Bard parvient à donner du poids, voire de la pesanteur, à cette absurdité par la densité de la peinture telle qu'il la travaille. Ses oeuvres, derrière leur apparente solidité, nous interrogent, à l'instar des écritures que l'on devine sur les toiles. L'art de François Bard réside en ce qu'il s'en tient à la question ; il nous livre une oeuvre brute, renvoyant l'observateur à une imaginative liberté.

Finalement, je reviendrai à Saint-Germain-des-Prés (n'ai pas eu le temps de faire les boutiques...).

A toi de voir...

Merci à Alain Rémond et Jérôme Garcin.

Exposition Keith Haring
Galerie Laurent Strouk
8 bis rue Jacques Callot
75006 Paris
www.popgalerie.com

Exposition Evelyne Axell
Galerie Natalie Seroussi
34 rue de Seine
75006 Paris

Exposition François Bard
Galerie du Fleuve
6 rue de Seine
75006 Paris

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